Interview du N°2 Français Gilles Simon

 Interview (off) réalisé par Lionel Chamy du Parisien pendant le tournoi de Rome en 2015.

Je vous invite à lire le témoignage vérité de Gilles Simon ( 14ème ATP). Cet interview vient appuyer un de mes articles intitulé Détection et formation du futur N°1 mondial. Il est aussi lourd de sens…que de vérité.

Gilles Simon :

Dans le discours commun, dans ce qu’on entend à la télé ou dans ce que j’ai entendu au cours de ma formation, il y a beaucoup de thèmes qui ne sont pas abordés. Pire, certaines choses sont niées. Ce en quoi cette appli est intéressante, c’est déjà qu’elle aborde ces thèmes et qu’en plus Ronan Lafaix ( préparateur mental)  essaie d’apporter des réponses.

Le préparateur mental explore des domaines dont on n’aime pas trop parler. Dans le tennis masculin, c’est «Les gars, faut pas avoir peur! La balle de break, tu l’attaques!». Dans le tennis féminin, c’est «ouais mais bon chez les filles, les émotions, c’est encore autre chose…» ce qui ne veut rien dire mais qu’on entend depuis toujours.

Moi, entendre ça, c’est comme si on me disait qu’on ne voulait pas me répondre ou qu’on ne savait pas quoi me répondre. Bref, tu sens que personne n’a envie de mettre le nez là-dedans.

 Les cinq thèmes qu’il aborde sont présents dans le jeu.

 Pour moi, ces thèmes sont importants. Pour le préparateur mental, ils sont même déterminants. C’est un travail dans lequel j’ai l’impression de n’avoir pas été assez aidé. Du coup, j’ai dû le faire tout seul, sur le tas.

Et on te disait que cela devait forcément s’apprendre comme ça. Que tu savais faire ou pas faire et que cela déterminerait que tu soit fort ou pas, passer le cap ou pas. Mais jamais ce travail n’était abordé comme le physique, la technique ou tout autre compartiment du jeu. On était très centré sur ce qui se passait sur le terrain, physiquement, tennistiquement.

 Mentalement, le seul mot d’ordre, enfin le seul que j’ai perçu, c’était juste «J’ai pas peur!». Or, à un moment, tu arrives sur un terrain et tu réalises que tu as peur.

J’ai beau me dire « J’ai pas peur!», j’ai peur.

Et putain, quand j’ai peur, qu’est-ce que je joue mal!

 Alors effectivement, du fait de se retrouver en situation, tu progresses par toi-même au bout d’un moment. Tu as peur et tu passes complètement à côté, tu as un peu moins peur et tu te rates un peu moins, etc. Je pense que tout cela se prépare et c’est le sens du travail du préparateur mental. Les peurs qui viennent sont normales et que si tu travailles dessus, elles viennent moins ou moins fort, on encore tu es plus à même de les gérer.

 Vous les avez testées?

 J’en ai testé deux, les plus importantes pour moi: le détachement et la concentration. Parce que je pense justement que, en tant que joueur de tennis, quand tu te sens dans cet état-là, appliqué et détaché, c’est là que tu es bon. Certains disent qu’ils sont «dans la zone». Toujours est-il que tout te paraît beaucoup plus facile: la bras passe, les jambes, parfois tu perds quand même mais tu produis beaucoup moins d’efforts. Tu te sens bien, rien ne te surprend de la part de l’adversaire parce que tu te sens prêt à tout. Bref t’es dans un bon état d’esprit. Etat d’esprit qu’on passe beaucoup de temps à chercher et qui s’en va terriblement vite quand tu l’as enfin trouvé.

  Pouvez-vous donner des exemples que vous avez réalisé dans ce domaine?

Quand j’ai commencé à travailler avec Jan, la première chose qu’il m’a dite, c’est qu’il voulait que je joue bien en Grand Chelem et en Coupe Davis. Si tu n’y es pas arrivé jusqu’ici, c’est que tu es trop tendu. Il faut que tu sois persuadé que tu vas gagner en jouant de telle manière et pas autrement. C’est le cheminement que nous avons suivi. Je l’ai bien fait en Grand Chelem. Je reste sur quatre premiers tours gagnés en trois sets, ce qui ne m’était jamais arrivé en dix ans. Ca m’a permis d’arriver au 3e tour ou en 1/8e à 100% de mes capacités physiques pour affronter des Ferrer ou autres. C’est sans garantie de les battre mais, au moins, je ne perds pas parce que je me présente déjà cramé.

 C’a donc été un travail important et c’est pourquoi cette application me parle. Il ne s’agit pas de se dire à un moment: «Allez, j’y vais! Cette fois, je n’aurai pas peur…»

La démarche, c’est «J’ai peur, je comprends pourquoi et j’arrive sur un terrain avec des clés avec telle et telle solution.» Et rester concentré sur ce que t’as à faire. C’est un travail.

 A la fin de notre première année de collaboration, Jan a pris un à un les tournois que j’ai joués et il a noté seulement l’attitude de chaque match d’un plus ou d’un moins, sans regarder le résultat. Le – intervenait toujours au 1er ou 2e tour. (…)

 Comment travaillez-vous ces thèmes-là?

 Le seul moyen de bloquer la peur, c’est d’abord de l’accepter. Au début, ça te paralyse, puis un peu moins. Ensuite, tu gagnes un match tout en ayant peur. Au match suivant, tu mobilises ce souvenir, etc.

  Y a-t-il des protocoles à automatiser à l’entraînement, de sorte d’en tirer bénéfice dans un contexte de match tendu?

 Oui et c’est le sens général du travail du préparateur mental dans ses méthodes d’entraînements. Il a poussé la recherche très loin, en se concentrant sur la respiration, etc. Il a mis le doigt sur des choses que tu fais sans t’en rendre compte.

A un moment, il demande à un garçon: «Est-ce que tu es capable de frapper une balle avec la mâchoire détendue?». Ca paraît con comme truc mais c’est hyper important. Il y a des joueurs comme Roger, dont le visage ne bouge pas. Rafa ou moi avons la bouche tordue, encore que j’ai progressé. Certaines joueuses crient, alors que le visage d’Ivanovic ne bouge pas. C’est hyper révélateur du sentiment que tu as avant la frappe.

 Y a des choses que je fais naturellement pour les avoir apprises seul. Moi, c’est sur le détachement que j’ai dû agir. A chaque fois que j’avais envie de bien faire, je perdais une partie de mes moyens. On n’est pas tous égaux. Gaël, lui, quand il a envie de jouer, il joue bien, sans forcer.

Moi, j’ai la particularité d’avoir plus peur au 1er tour qu’en finale. Parce que j’ai gagné quatre matchs, que je sais que je joue bien, je ne suis pas inquiet. Au 1er tour, je ne sais pas. Pour d’autres, c’est l’inverse.

Bref, on a tous appris à se connaître mais on a tous perdu un peu de temps.

Le but, c’est que dès le plus jeune âge, dès que le tennis devient sérieux, le joueur se pose déjà ces questions. S’il a un problème, commence à essayer de le régler maintenant. Chacun a sa manière de fonctionner. S’il ne bosse pas dessus, le problème sera là à 12 ans, 16 ans, 20 ans et 25 ans.

 D’autres écoles étrangères ?

 Je pense surtout que c’est un sujet dont très peu de personnes ont envie de parler parce qu’il s’agit d’un sujet déterminant. Je suis certain que des gens font des choses.

Je pense que quelques-uns ont les mêmes émotions mais qu’ils les gèrent beaucoup mieux. Ce qui me frappe quand je regarde les meilleurs, c’est qu’ils ont toujours la même attitude quand ils entrent sur le terrain. Comme s’ils avaient trouvé la meilleure manière d’être et s’y tenaient. David Ferrer sait comment doit être le meilleur David Ferrer et il est comme ça.

Nous, Gaël, Jo, Richard ou moi, on fluctue vachement encore. Moi, je fais un gros travail là-dessus.

Regardez Berdych, un mec qui était vachement fluctuant aussi… Une fois sur le terrain, il sait ce qu’il doit jouer. Il gagne ou il perd mais il se concentre juste sur ce qu’il à faire. Je n’ai pas l’impression qu’il tergiverse trop, dans la tête. Finalement, la question que chaque joueur de tennis devrait se poser est la suivante.

 En ce qui me concerne, c’est «Quel est le meilleur Gilles Simon sur un terrain?» Est-ce celui qui court? Celui qui attaque, prend la balle tôt, mixe, etc?

 Une fois que tu l’as défini, tous les jours, tu essayes de t’en rapprocher en agissant sur le détachement, la concentration et le reste. J’ai dit par le passé que 80% du boulot avait été fait mais pas les derniers 20%, ceux ayant trait à ce qui se passe sur un terrain.

En dehors de bien frapper, bien courir, que se passe-t-il sur ce court?

Quand je disais j’ai peur, je sens que je ne peux pas «mettre» ce coup droit, on m’a trop souvent répondu: «Viens, on va en faire 400, tu verras, tu ne rateras jamais….». Réponse qui, personnellement ne me satisfaisait pas. 

 Ce qui m’énervait par-dessus tout quand je posais des questions relatives au joueurs dans les «10», c’est quand on me répondait: «On verra quand tu seras dans les «10»…» Quand j’étais 300e mondial, je me demandais pourquoi on me préparait physiquement à jouer des Grands Chelems, sans attendre d’être dans les «100» et qu’on me faisait cette réponse quand j’essayais d’aller plus loin. L’autre truc, c’était ce discours général consistant à se féliciter d’amener autant de joueurs français dans les «100»… Mais quand tu leur demandais pourquoi on n’avait pas gagné de Grand Chelem, la réponse était immanquablement «le champion, c’est pas nous, c’est en eux…» Le champion, on ne peut pas le former, il le devient tout seul. Eh bien, moi, je pense exactement le contraire. Je pense que si en Espagne, il y a des n°1 mondiaux, c’est parce qu’il y a eu des n°1 mondiaux et qu’un discours se perpétue, un peu comme les handballeurs chez nous. On gagne et ça se transmet.

La fédé, je lui dois tout. Mais justement parce que j’ai fait mon chemin, je dis que 80% de ce que j’ai fait était super mais il m’a manqué «ça». Faites-le, pas pour moi, mais pour les suivants. Faîtes en sorte que ça ne soit pas ça aussi qui leur manque.

C’est pourquoi je trouve que Ronan en abordant ces thèmes-là a au moins le mérite d’en parler. On a des émotions, il faut les gérer. Il y a un travail à faire, on va le faire. Au même titre que le physique, la technique.

 Un grand merci a Gilles.      

 

Si vous souhaitez relire l’article que j’avais écrit sur ce même sujet, cliquez sur le lien suivant: Détection et formation du futur N°1 mondial . Gilles Simon reconnait qu’il a peur en match, cette peur n’est pas une faiblesse. Tous les compétiteurs connaissent cette peur. En France, il ne faut surtout pas l’avouer au risque de passer pour quelqu’un de faible. Les institutions, les formateurs, les entraineurs préfèrent laisser la sélection naturelle faire son travail.

Pour lancer le débat, nous pourrions poser ces questions:

Quand la préparation mentale ne sera plus un sujet tabou dans les fédérations sportives française? Combien de témoignages de sportifs doit-on attendre pour considérer réellement cette question? Pourquoi certains sportifs (je peux en témoigner au moins pour le football, le surf et le tennis) font appel à des préparateurs mentaux en demandant « je veux que tu m’aides à me préparer mentalement mais ma seule condition est cela reste confidentiel, je ne veux pas que cela se sache ». Si mon coach l’apprend, il ne va pas être content. Pourquoi à votre avis?

 

 «  Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou. » Friedrich Nietzsche

«  Rien n’est permanent, sauf le changement.  » Héraclite d’Ephèse

Vous pouvez réagir à l’article en postant un commentaire ci-dessous, ou par mail à  clementdurou@gmail.com  …à bientôt.

Clément Durou

 

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