Le regard de l’entraineur

Le regard de l’entraineur              


         Entraineurs, coachs, enseignants, instituteurs, parents, éducateurs, politiques…prenez vos distances (rejetez!?) avec vos stéréotypes, vos préjugés et vos croyances. Leur simple présence dans vos esprits, peut entrainer une distorsion de vos perceptions et de vos ressentis, de telle sorte que, ce que le sportif…décèle dans votre regard, le conditionne à le devenir…

    L’objet de cet article est d’apporter des pistes afin de répondre à cette épineuse question: Les attentes, croyances et préjugés de l’entraineur influencent-elles les performances du sportif dont il s’occupe? de quelle manière? dans quelle proportion? cet effet n’est-il pas plus fort dans certaines conditions? avec certains entraineurs? et avec certains sportifs? … Dans ce qui va suivre, je vais parler de pédagogie (non, ce n’est pas un mot vulgaire!), et de ceux qui peuvent être amenés à apprendre quelque chose à quelqu’un. Chaque fois qu’il est écrit « élève » veuillez lire « sportif ou celui qui apprend »; chaque fois qu’il est écrit professeur ou maître…veuillez traduire « entraineur, coach ou celui qui enseigne ».

    Dans « Le temps des amours« , Marcel Pagnol affirmait :« Dès que les professeurs commencèrent à le traiter en bon élève, il le devint véritablement ». En pédagogie, on parle aussi d’effet Pygmalion.

        Qui était Pygmalion ?

    D’après la légende, Pygmalion, sculpteur chypriote de l’Antiquité, a créé, une statue de femme d’une telle beauté qu’il en est tombé amoureux et voulut la voir se transformer en femme réelle. Il y crut si fort, que son vœu fut réalisé par la grâce d’Aphrodite.

    L’effet Pygmalion est donc une prophétie auto-réalisatrice (prophétie qui modifie des comportements de telle sorte qu’ils produisent ce qu’elle annonce) qui désigne l’influence sur la progression d’un élève, en partant de fausses croyances sur les aptitudes de celui-ci. Pour les connaisseurs, on peut apparenter cet effet avec l’effet placebo en médecine ou encore la suggestion en psychologie.

    Rosenthal un psychologue américain, a découvert l’effet Pygmalion en réalisant l’expérience suivante. Après avoir constitué deux échantillons de rats totalement au hasard, il informe un groupe de six étudiants que le groupe n° 1 comprend 6 rats sélectionnés d’une manière extrêmement sévère et qu’ils sont dotés d’une intelligence extraordinaire. Ils doivent donc s’attendre à des résultats exceptionnels de la part de ces animaux, des « winners » triés sur le volet. Il signale ensuite à six autres étudiants que le groupe des 6 rats n° 2 n’a rien d’exceptionnel et que, pour des causes génétiques, il est fort probable que ces « losers » auront même du mal à trouver leur chemin dans le labyrinthe. Je vous entends déjà! « n’importe quoi, les résultats seront les mêmes pour tous les rats puisqu’ils n’ont pas été sélectionnés « . Et non, vous vous trompez dans votre jugement! Les résultats scientifiques de cette expérience ont confirmé l’inverse. Accrochez-vous, on décolle dans les préjugés. En effet, les prédictions purement fantaisistes effectuées par Rosenthal ont été confirmées. Les rats du groupe 1, ceux pour qui Rosenthal avait fait croire qu’ils étaient pourvus de facultés extraordinaires (alors que ce n’était pas vrai) ont eu des résultats bien meilleurs que les autres. Certains rats du groupe n° 2 n’ont même pas dépassé la ligne de départ.

     Les « faux winners » ont battu les « faux losers ». Incroyable non?!  

    Après analyse (non pas des rats, pas besoin car ils étaient tous identiques) des étudiants, il s’avère que les étudiants qui croyaient que leurs rats étaient particulièrement intelligents et doués, leur ont manifesté de la sympathie, de la chaleur et de l’amitié. Inversement, les étudiants qui croyaient que leurs rats étaient stupides ne les ont pas entourés d’autant d’affection. Bon d’accord, ce ne sont que des rats, et alors? me direz-vous. Est-ce que de savoir cela va vous aider à le faire tourner plus rapidement sur sa roue dans la cage? A la limite, avec votre chat, cette expérience peut servir. Soyez convaincu et croyez intimement que c’est le meilleur chasseur de souris du quartier, et il tuera toutes celles de la ville.

    Passons cette courte plaisanterie sur les animaux et revenons à nos moutons, à l’Homme et son intelligence exceptionnelle. Pour les hommes, est-ce similaire? peut-on influencer leur performance comme on a fait avec les rats ? Au boulot les chercheurs et autres scientifiques, on a besoin de votre curiosité pour répondre à nos questions.

    A Oak School, l’expérience est donc ensuite retentée, mais avec des enfants. Pour leur expérience, ils choisissent un quartier pauvre, où habitent un nombre important de familles immigrées vivant dans des conditions très difficiles (milieu socio-économique très défavorisé). Ils se présentent dans une école de ce quartier avec une fausse carte de visite et expliquent qu’ils dirigent une vaste étude pour la grandissime école de Harvard. Toute cette expérience se fait dans un contexte dans lequel l’intelligence a un caractère inné.

    Rosenthal et Jacobson font passer un test de QI à l’ensemble des élèves, puis s’arrangent pour que les enseignants prennent connaissance des résultats. Les résultats que lisent les enseignants ne sont pas les résultats réels du test de QI, mais comportent des notes distribuées au hasard. Ainsi, 20% des élèves se sont vu attribuer un résultat bien au dessus de leur QI réel. En faussant les résultats, ils ont donc fait croire aux enseignants que ces élèves (que j’appellerai les « faux winners ») avaient particulièrement bien réussi le test de QI, et qu’il ne serait pas surprenant qu’ils fassent des progrès assez rapidement. À la fin de l’année, Rosenthal et Jacobson font repasser le test de QI aux élèves.

    Le résultat de l’expérience démontre alors qu’une année après le premier test, les 20 % se sont améliorés comme les « rats winners ». Certains ont même augmenté de plus de 25 points leur performance au test d’intelligence. « Incroyable! » (j’entends votre stupéfaction jusque chez moi). Le hasard a fait progresser ces « faux winners » grâce aux simples croyances des enseignants, et au regard qu’ils ont porté sur ces élèves, en raison des résultats du test truqué. En analysant un peu plus pourquoi les « faux winners » étaient devenus des « vrais winners »,les scientifiques ont constaté ceci:

– tous les élèves présentés comme prometteurs avaient progressé significativement et qu’il existait des relations « préférentielles » entre ces élèves et les enseignants ( en fait, la différence ne se jouait pas dans le temps passé avec chaque enfant, mais dans la qualité de l’interaction entre l’enseignant et les « winners »).

– les systèmes de communication dans lesquels les professeurs ont donné aux « faux winners », un rôle plus important qu’aux autres (autonomie, tâche déléguées…)

– du favoritisme(non cela ne se dit pas, je risquerai d’en fâcher certains), une harmonisation des résultats de ces élèves (lorsque les winners faisaient des erreurs, celles-ci étaient minorées par les enseignants)! C’est vilain d’accuser, je sais mais c’est la réalité, alors autant l’assumer et voir si on peut la changer.

     Pour les sportifs, je résumerai l’expérience ainsi: « En croyant qu’un athlète possède une compétence particulière, l’entraineur change sa propre attitude vis-à-vis de cette personne, et l’influence à tel point qu’il va effectivement bonifier cette compétence ».

    Ainsi, les espoirs portés sur les sportifs, quant à leur potentiel (mental ou physique), sont générés dans l’esprit des entraineurs par un ensemble de croyances, de stéréotypes et de préjugés pas toujours objectifs et présents au départ. De manière inconsciente ( pas toujours hélas!), ils délaissent les sportifs qu’ils jugent « peu capables », pour s’occuper un peu mieux des plus prometteurs, ce qui, in fine, rend effectivement ces sportifs plus performants que les autres…et donne donc raison à l’entraineur (celui qui sait et celui qui est souvent persuadé de détenir la vérité. En réalité, il détient SA vérité…et malheureusement pour lui, ce n’est pas toujours LA vérité…désolé, je déborde du sujet).

    CQFD, la boucle est bouclée, l’entraineur a toujours raison, tous les meilleurs, (ces « faux winners », ceux pour qui il a placé tous ses espoirs) ont progressé. Ainsi, baignant dans cet univers d’égo-narcissisme exacerbé, lorsque leur poulain gagne, nous entendons ces mêmes entraineurs s’auto-congratuler, s’auto-complimenter, s’auto-aduler, s’auto-féliciter, s’auto-flatter (ils sont français tous ces mots?) et parfois même,  on les surprend en train de gonfler leurs pecs. En revanche, lorsque leur protégé perd, ils cherchent les mauvaises raisons en prétextant de fausses excuses. Dans ce cas, les excuses les plus banales, facile et récurrentes vont être une mauvaise préparation physique, une erreur tactique, une erreur d’inattention, les autres étaient trop forts, la peur, et même la malchance. Bref, l’entraineur de conclure sa conférence de presse en disant « on va régler ces problèmes rapidement dans la semaine, cela ira mieux au prochain match » et…sûrs de leurs réponses, ils repartent pour un tour, attendant tranquillement que la sélection naturelle se remette à l’œuvre.

    Cette idée nous propulse aussi sur la question (pas encore sulfureuse car les décideurs sont souvent juges et parties) des sélections dans les centres de formation, dans les équipes…Lorsque l’on doit choisir quelqu’un, quels sont les critères que les recruteurs utilisent? Sont-ils toujours pertinents? utiles? véritablement objectifs? Qu’en pense Antoine Griezmann? Pour les défendre un peu, je dirais que « choisir, c’est renoncer, ils ne peuvent donc que renoncer »…Mais renoncer à qui? à quoi? comment? et pourquoi? We will see in another article…maybe one day!

      Si l’entraineur croit « il peut », le sportif pense « je peux »                                                                                                                                    Faisons croire aux entraineurs que certains de leurs sportifs sont surdoués, et voyons si cela change quelque chose à leur progression! Je n’ose envisager ici, que la seule progression des sportifs, et non celle des entraineurs car ceci est un autre débat et je pourrai encore déraper. Pour un sportif, le passage d’un statut commun ou « comme les autres » à celui de « protégé, de prometteur, d’espoir, et donc de winner » lui assure-t-il, de manière certaine, des progrès supérieurs par le simple fait que leur coach croit en eux?

    Ce dont je ne pourrai douter, c’est que celui qui bénéficie de l’influence du « regard-Pygmalion » de son entraineur est nécessairement plus exigeant avec lui-même. Là où les autres se contenteront d’atteindre leur objectif, lui, s’imposera un standard et une exigence plus élevés. En touchant à l’estime de soi, Pygmalion donne confiance en soi. Là où les autres hésitent de peur d’échouer, accompagné par ce sentiment d’être compétent, les « fils/filles pygmalions » osent et tentent davantage, sans douter de leur réussite.

    Plus les coachs ou l’autorité supposée compétente renvoient une image positive de son potentiel à un sportif, plus il aura de chance de réaliser pleinement ce potentiel. Avant de douter des sportifs, les coachs devraient d’abord douter d’eux, de leurs croyances, préjugés et jugement de valeur à l’égard des sportifs dont ils s’occupent, en se posant la question: pourquoi je pense ceci de lui?

    Si le sportif ne peut trouver des solutions uniquement s’il est persuadé qu’il en existe, il ne pourra réellement progresser que si son coach en est intimement persuadé, tous préjugés, croyances et jugement de valeur à son égard, confondues.

    « Le regard du coach, lorsqu’il se pose sur son sportif, à une telle importance et un tel pouvoir à ses yeux, qu’il convient, à chaque instant, d’en mesurer toutes les portées et hypothétiques retombées ».

 

Clément DUROU

 

Bibliographie

 

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