La leçon des bernaches
– « Papa, regarde les oies dans le ciel, elles forment un « V » en volant, c’est beau !!! »
– « Oui mon fils, c’est beau! »
– « Pourquoi volent-elles comme ça? Pourquoi elles crient autant? Celle qui vole devant est-elle la chef? «
– « Tu sais mon fils, il ne faut pas chercher à comprendre la nature et les animaux. C’est beau voilà tout »
Dans la semaine, ce père, chef d’une grande entreprise, rentrait à peine d’un séminaire de management dans lequel, l’essentiel du discours se résumait à assimiler les salariés de l’entreprise à des taureaux de combat écrasant tout sur leur passage. La « leçon de management » du jour était d’inculquer (d’imposer?!) la valeur de combat et d’individualisme pour augmenter la productivité des collaborateurs…et de fait, la rentabilité financière de l’entreprise. Douter, suspecter, diviser pour mieux régner, ne jamais faire confiance à son voisin et, si l’occasion se présente, le « tuer » professionnellement pour lui prendre sa place. Les mots d’ordre étaient: on avance, on écrase, on se ferme à d’autres possibilités de management, et on montre la direction de la porte à ceux qui n’adhèrent pas à ce modèle de management. Ces mots sont les miens, directs mais un peu forts je vous l’accorde. Dans le monde du privé, ce fait est rarement explicité ainsi…on évoque plutôt une « concurrence » ou une « émulation interne » pour rester plus lisse et positif.
Si seulement, ce père, chef d’une grande entreprise pouvait oublier les taureaux et s’inspirer des oies. Si seulement il savait pourquoi elles volent en « V »…
Pourquoi les oies volent en « V » lors de leur migration? Les oies bernaches sont des oiseaux migrateurs. Leur formation en « V », preuve et témoin d’une efficience innée et précautionneusement déconsidérées, décriées voire parfois vilipendées; nous donnent des leçons qui, sans nul doute, pourraient faire évoluer certains discours, idées et comportements sur le « comment vivre et progresser ensemble »…dans l’entreprise, dans le sport, dans la Vie.
Après cet article, je suis persuadé que, comme ce papa chef d’entreprise, vous aussi, sportifs, entraineurs, managers, chefs d’entreprise, DRH, cadres et salariés du privé comme du public, fédérations et institutions diverses…en plus de la beauté naturelle de cette formation « Vésienne », vous ne regarderez plus les vols d’oies avec le même regard et pour les mêmes raisons.
Explications et leçons animales
A) L’esprit d’équipe: Le « V » de la Victoire! +71 % de gain
Pour chaque mouvement d’aile, un courant d’air ascendant se produit à l’arrière du mouvement. Ainsi, les oies qui suivent derrière « profitent » et sont aspirées par ce « courant porteur » créé par les individus de tête. Au total, le vol en « V » augmente d’au moins 71 % la distance du vol que ferait une oie si elle volait seule. Dans votre équipe, dans votre entreprise, dans votre groupe de travail, le résultat final résulte-t-il de la simple addition de la valeur intrinsèque de chaque individu?
La question centrale est de se demander si le résultat d’une action collective est le produit des résultats individuels de chaque acteurs? Plus simplement: Si 10 personnes travaillent sur le même projet: le résultat à attendre est-il un total de 10?
Dans la réalisation d’une performance collective sportive ou professionnelle: 10 fois 1 = 10 ? NON. Les entraineurs de sport collectif savent bien que le résultat d’une performance collective n’est JAMAIS l’addition des compétences des individus qui composent l’équipe. Pourquoi?? car il existe des paramètres tels que la cohésion, le leadership, le mode de management, la personnalité et le profil de chaque individus, inhérents et déterminants sur le résultat final. Pour les initiés en management, on appellerait cela un effet de synergie. Le postulat de départ serait d’accréditer le fait que certains managers l’oublient parfois…et c’est bien regrettable. S’il suffisait d’avoir les meilleurs à leur poste pour être la meilleure équipe, cela se saurait non?
De fait, lorsque l’on veut progresser et développer sa performance collective, ces épineuses questions se posent (et s’imposent!): Un salarié travaille-t-il mieux sous la contrainte et la pression? Pourrait-il être plus productif s’il se sentait bien intégré, si ses coéquipiers, son leader, son manager, son patron…lui témoignaient de la confiance et du respect? Œuvrer et manager pour développer le sentiment d’appartenance à un groupe et renforcer l’estime de soi, la confiance en soi, la motivation intrinsèque autant qu’extrinsèque, donner un objectif à la fois commun, positif et atteignable par et pour chacun…? ne serait-se pas une autre possibilité pour aller mieux, plus loin, plus rapidement, et plus durablement?
B) Les individualistes: Besoin d’indépendance ou simple égoïsme???
Si une oie s’extrait du » V porteur » pour tracer seule son chemin, aussi rapidement que violemment, elle sent immédiatement la résistance de l’air et est emportée par le fardeau que lui impose son individualisme. Lorsque cela arrive, la raison et la réalité l’emportent et la contraigne à revenir dans les rangs sans tambour ni trompette. Profitant de la force ascendante provoquée par les autres oies la devançant dans le rang, « la queue entre les jambes », elle réintègre le rang sans aucune animosité de la part de ses congénères. Daigner suivre ceux qui vont dans la bonne direction, consentir que certains aillent explorer ailleurs, accepter de les accueillir s’ils reviennent, tolérer qu’ils progressent et deviennent leader, autoriser de l’aide… permet d’opiner le fait qu’il n’y pas qu’un seul chemin, pour arriver au terminus de la destination finale en sécurité et sans embûche…ensemble.
C) Les leaders: Elles donnent la voie sans donner de la voix!
L’oie de devant trace le chemin. Tel un GPS, elle donne la direction, le cap et la voie à suivre. En travaillant plus que les autres, elle montre l’exemple pour mieux emmener le groupe. Ne bénéficiant pas des 71% , c’est en toute logique qu’ elle se fatigue plus vite que les autres. Ainsi, elle va jusqu’au bout de ses forces et de son potentiel jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus assumer (supporter?!) la tâche qui est la sienne. Après un dur labeur, aussi aisément que naturellement, cette meneuse se décale pour laisser la suivante prendre sa place et sa fonction. Quelle leçon nous apporte la meneuse? Au risque de faire ralentir le groupe, faut-il rester devant parce que c’est une place qui flatte l’égo? Comment vont réagir les suiveuses si elles se sentent à même de remplir la mission de leader?
D) Les suiveuses: La cohésion, l’entraide et la communication positive.
Avez-vous également remarqué que pendant le vol, les oies suiveuses sont très bruyantes? Oui mais pourquoi cacardent-elles si fort? Qu’est ce qu’elles disent? A qui? Pourquoi?
Les « suiveuses » cacardent sans parcimonie, sans retenue ni avarice. Avec puissance et constance, les oies s’expriment dans le seul but d’encourager la meneuse à maintenir sa vitesse et son cap. Faute d’études scientifiques, nous pourrions, par conjecture, pousser l’idéal plus loin, en supposant que ces cris participeraient également à maintenir l’attention des meneuses afin qu’elles se focalisent sans retenue sur la tâche qui leur incombe? Ces encouragements nourris, ne représentent-il pas un activateurs motivationnel supplémentaire à l’égard des leaders?
Dans un collectif, l’homme suiveur, lorsqu’il crie par derrière, le fait-il toujours pour les mêmes raisons que les oies? Hurle-t-il toujours dans le seul but d’encourager les meneurs? Ne pas entendre et sous-estimer les bruits de ses collaborateurs est-il la meilleure réponse que les leaders puissent adopter? Si ces cris ne sont pas de nature à encourager et soutenir, comment et pourquoi les leaders font-ils taire les « bruits venus de l’arrière »?
E) Les défaillantes: « marche ou crève »… « laissez-moi là, je vais vous ralentir ».
Que se passe-t-il si une oie ne peut plus avancer? Fatigue, blessure, défaillance et inaptitude pour aller plus loin, altercation avec une congénère… Quelque soit la raison, lorsqu’une oie connait une difficulté insurmontable et se trouve dans l’obligation de quitter le rang, deux autres oies s’extraient immédiatement du voilier et l’accompagnent au sol pour lui apporter de l’aide et la protéger. Ces accompagnatrices restent avec l’oie blessée jusqu’à la mort ou jusqu’à ce qu’elle puisse recouvrer ses forces pour voler à nouveau. Seulement à ce moment-là, elles repartent par elle-même ou intègrent un autre groupe d’oies afin de poursuivre leur chemin.
Dans une équipe, comment réagit l’Homme? comment se comporte-il lorsque son « coéquipier » connait une défaillance momentanée? Qu’apprend-on aux étudiants dans les écoles de management? Comment formate-t-on les salariés dans l’industrie? Quel modèle de management, quels comportements sont valorisés aujourd’hui? Aider ou écraser? Quel dilemme…
Pour conclure, je terminerai le propos en affirmant que Dame Nature fait souvent bien les choses! Depuis la création, elle a su s’adapter pour répondre aux difficultés imposées par son environnement immédiat. Malgré le caractère tautologique et « Darwiniste » de la suite, il est intéressant de rappeler que ces adaptations morphologiques et comportementales ont toujours répondues avec rigueur, justesse et permanence. Dans cet article, on s’aperçoit aisément que les oiseaux migrateurs ont su trouver des solutions pour atteindre leur objectif avec une efficience rare…parfois invisible chez des êtres dotés d’intelligence.
Qu’est-il advenu de ceux qui n’ont su, pu ou voulu s’adapter face aux difficultés momentanées? la Nature ayant horreur du vide, ils ont disparus puis ont été remplacés. Aujourd’hui, le poussiéreux modèle de management « marche ou crève », aussi « expressive » que soit l’image d’un taureau de combat écrasant tout sur son passage; force est de constater que ce modèle s’épuise et s’éteint à petit feu. Une amère déconvenue est à présager pour ceux qui n’en ont pas encore conscience…car il semblerait que se profile un avenir orienté vers les vertus d’un management collectif et partagé; où la bienveillance et l’empathie seraient des valeurs ressources et fondatrices…et ce, sans jugement moral aucun, puisque la rationalité nous fait affirmer que c’est un mode d’organisation plus optimal que la compétition interindividuelle.
« Puisse le manager (l’Homme?) avoir le bon sens des oies »
Clément Durou
Bonjour Clément,
Merci de nous partager cette magnifique métaphore sur les oies bernaches. La lecture de vos lignes m’a rappelé de nombreux concepts, tant sur certains modèles de management (tel que celui mis en place par Jordan Belfort (alias le loup de wall street) qui serait le parfait exemple du management « guerrier » tourné vers la performance individuelle…) que sur certains modèles plus intelligent de leadership ou de coaching tels que ceux prônés par des individus tel que Seth Godin ou Phil Jackson : tous deux soulignent l’importance de mettre son ego de coté, d’utiliser la compassion au sein d’une équipe, de laisser une certaines libertés à ses collaborateurs ou à ses joueurs et de penser plus intelligemment les rapports au sein d’une équipe…
J’apprécie ce rapprochement entre un management en entreprise et la gestion (intelligente) d’une équipe (notamment sportive). J’ai également tendance à faire ce rapprochement…
Cependant est-ce totalement viable ? De splendides synergies peuvent prendre place au sein d’une équipe sportive… Mais cela peut prendre du temps… Une entreprise peut parfois être soumise à un turnover important… Connaissez vous une méthode pour mettre en place ces synergies le plus rapidement possible (tant dans une équipe professionelle, que dans une équipe sportive) ?
Pierre