Pourquoi on « joue »?
Pour ce premier article du blog, je vais vous raconter une petite histoire qui concerne l’épineuse question de la motivation. Il y a quelques années, j’ai lu cette expérience, et pourtant, aujourd’hui encore, elle continue à me fasciner. Dans nos vies respectives, il est des histoires, des lectures, des expériences, des rencontres… qui nous marquent, et qui, à n’en pas douter, nous influencent dans nos choix et centres d’intérêts futurs. Sans nul doute, celle-ci, a certainement contribué à attirer ma curiosité puis mon attrait vers la psychologie du sport et la préparation mentale. En essayant de vous épargner la lecture de termes pompeux pour certains, trop spécifiques et précis pour d’autres, je vais tenter de vous la relater en toute simplicité.
Football de rue
Un psychologue à la retraite(qu’on appellera Jean-Claude), appréciant le calme et la tranquillité, est dérangé par des enfants qui viennent chaque jour s’affronter au foot dans un match de quartier sur le terrain vague jouxtant sa maison. Afin de préserver sa quiétude et le silence qu’il adorait tant, Jean-Claude chercha des solutions permettant d’éloigner ce match de foot, que dire, ce brouhaha quotidien. Il n’était pas contre le football, il était même d’accord pour qu’ils jouent, mais ailleurs que devant chez lui. Il faut dire que Jean-Claude, après avoir longtemps joué au foot, s’était mis aux mots croisés, activité qui nécessite un calme environnant absolu. En vain, cet homme s’employa pour user de tous les stratagèmes afin d’évacuer ce vacarme intolérable. La discussion, la négociation, la menace, les provocations, la gentillesse, la pédagogie, la diplomatie… toutes ces tentatives ont été appliquées mais sans succès. Rien n’y faisait, la motivation des enfants pour jouer au foot après l’école était telle, qu’aucune des initiatives de cet homme ne parvint à son but.
Un jour, il eut une autre idée. Il souhaitait tester une autre tactique, un autre stratagème. Il avait un nouveau plan, bien différent de tout ce qu’il avait essayé jusqu’alors. A la fin d’un match, il décida de passer un marché avec les protagonistes. Il décida de les payer pour qu’ils jouent au foot, et surtout à l’endroit habituel, à côté de sa maison. La précision du détail a ici, toute son importance.
Le lendemain, il alla observer le match des enfants, et à la fin de celui-ci, il leur donna 25 centimes pour revenir jouer le jour suivant. L’homme ne doutait pas un instant que les enfants reviendraient jouer au foot, comme d’habitude, à la sortie de l’école. Effectivement, à l’heure habituelle, les enfants sont venus jouer au football. Alors, Jean-Claude les regarda jouer pendant toute la rencontre, feintant de s’intéresser à leur jeu. A la fin du match, il les félicita et leur donna les 25 centimes qu’il leur avait promis. Pendant toute une semaine, il renouvela la même opération chaque jour et avec toujours autant de succès et d’enthousiasme obtenu chez les enfants.
La semaine suivante, il poursuivit ainsi mais en ne proposant plus 25 mais 20 centimes. Les enfants étaient d’accord sur le principe, et la semaine se déroula de la même manière que la précédente. Les jours suivants, prétextant une baisse de la qualité de leur prestation, il ne leur proposa plus que 15 centimes par match. Après désaccord des enfants puis négociation avec eux, Le deal fut tout de même accepté. Désormais, pour 15 centimes, les enfants acceptaient de jouer au foot devant la maison de Jean-Claude.
Quelques jours plus tard, l’homme alla trouver les enfants à la fin d’un match. Il leur proposa de leur donner 5 centimes pour les féliciter et les récompenser de leurs efforts s’ils continuaient à venir jouer autour de sa maison. A cet instant précis, les enfants s’énervèrent fortement. Ils jugeaient cette offre scandaleuse et injuste. Ils avaient le sentiment que leurs efforts valaient bien plus que 5 centimes et indiquèrent au monsieur qu’il ne les reverrait plus jamais jouer devant sa maison. L’histoire s’arrêta là. Il n’y aurait plus jamais de match de foot à côté de la maison de Jean-Claude. Il avait retrouvé la tranquillité et le calme qu’il appréciait tant. En toute sérénité, il pouvait désormais s’adonner pleinement à sa nouvelle passion qu’était les mots croisés.
Dans cette petite histoire, nous pouvons apercevoir que, par certaines techniques (stratégies?), il est relativement aisé d’intervenir sur la motivation des personnes. D’une activité purement ludique et pour le seul plaisir du jeu au départ, les enfants en sont venus à penser qu’ils jouaient pour une récompense financière. En peu de temps et de malice, Jean-Claude a pu faire croire aux enfants qu’ils ne jouaient plus pour leur propre plaisir mais pour lui et pour de l’argent. D’une motivation intrinsèque (on pratique une activité pour le plaisir et la satisfaction que l’on en retire.Une personne est intrinsèquement motivée lorsqu’elle effectue des activités volontairement et par intérêt pour l’activité elle-même sans attendre de récompense ni chercher à éviter un quelconque sentiment de culpabilité), nous sommes passé à une motivation extrinsèque ( ici, les enfants agissent dans l’intention d’obtenir une récompense qui se trouve en dehors de l’activité).
Dans un autre post, je reviendrai plus longuement sur la question de la motivation en sport. Cette petite histoire introductive me permet d’ouvrir ce premier questionnement sur le: pourquoi on fait une tâche précise? pourquoi on fait telle activité plutôt qu’une autre? pourquoi on fait de la compétition? pour qui? pour quoi? quand? comment? dans quel but? pour quel(s) objectif(s)? …
A mon sens, le « jeu » entre la motivation intrinsèque du sportif et sa motivation extrinsèque est à considérer avec la plus grande attention. Le « pourquoi on joue? » est pour moi, d’une importance capitale…surtout lorsque le sportif rencontre une baisse de performance. Dans l’esprit de l’opinion publique, le sportif fait de la compétition pour gagner. Gagner d’accord, mais pourquoi? pour lui? pour son égo? pour son plaisir personnel? pour obtenir la reconnaissance de ses pairs, des ses proches, de son coach…? pour la récompense (argent, gloire, médiatisation…)? C’est d’abord de cela dont il est question lorsque l’on gagne ou l’on perd. Le résultat immédiat n’est pas le plus important pour la poursuite d’une carrière et donc aussi pour construire les performances futures. La base, la fondation, le socle de la carrière d’ un sportif est, et doit être déterminé avant toute autre travail, par le sens qu’il donne à sa pratique compétitive. La réponse à toutes les questions commençant par « pourquoi… », que le sportif professionnel se pose est à mon sens, la base d’un engagement et d’une détermination sans borne de sa part; et de fait, d’une probable réussite future. Une carrière professionnelle est faite de haut et de bas, c’est inéluctable. C’est dans ces moments de « bas » ( blessure, baisse de performance, perte de confiance, nouveau statut de remplaçant, changement de club, problèmes extra-sportifs et privés…il en existe tellement! )que la question du sens prend tout son sens.
Pour poursuivre dans ce sens, et se poser des questions sur la motivation des sportifs, il serait, par exemple, intéressant de voir ce qu’il se passerait dans certains sport où l’argent coule à flot, si les salaires indécents ( je n’ai pas dit immérité car ceci est un autre débat) disparaissaient. Combien de sportifs poursuivraient leur carrière avec le même engagement? lesquels? et pourquoi eux?…Y mettraient-ils tous la même motivation? Et quelle motivation, l’intrinsèque ou l’extrinsèque? un peu des 2, d’accord mais dans quelles proportions? Pratiqueraient-ils tous avec un état d’esprit identique, un professionnalisme exacerbé et une approche similaire qu’auparavant? Si la « carotte d’or » se transformait en « carotte de sable », que se passerait-il?
Si tous les entraineurs (surtout ceux qui s’occupent des plus jeunes) s’efforçaient de maintenir (garantir?) une large place au plaisir, au ludique et à la motivation intrinsèque, j’oserais ( avec un « s » pour utiliser le conditionnel présent et non j’oserai au futur simple) penser que tous les sportifs professionnels poursuivraient leur pratique avec la même intensité, et quelles que soient les récompenses obtenues. Utopie de ma part? Pas sûr!
Dans nos quotidiens respectifs, nous sommes tous confrontés à ce questionnement sur notre type de motivation. Au fait, qu’est ce que la motivation? vaste question me direz-vous, et vous auriez raison! Tout simplement, je répondrais ainsi: La motivation? c’est ce qui nous pousse à agir. Pour l’expliquer , prenons un autre exemple.
Histoire d’échecs, le jeu contre l’enjeu
Un petit garçon, prénommé Stéphane, est passionné par les échecs. Le jeu sur un damier, pas le résultat d’un match. Chaque jour, dès qu’il a du temps libre, il joue aux échecs sur sa tablette. Il passe des heures et tout son temps libre à jouer, et donc à s’entrainer. Il a un certain don, il est passionné et joue beaucoup. Inutile d’expliquer qu’il progresse énormément pour atteindre un niveau excellent pour un jeune de son âge. Seulement, Stéphane n’aime jouer aux échecs que sur sa tablette et contre ce joueur virtuel qu’est l’ordinateur. En fait, il n’a jamais joué contre un adversaire en live. Ce face à face autour d’une table lui fait peur et le rebute. Son père, jusqu’ici assez peu intéressé par le loisir de son fils, apprend qu’il existe des compétitions d’échecs…et qu’il y a même beaucoup d’argent à gagner dans les grandes compétitions internationales. Il demande à son fils d’y participer mais se heurte, sans négociation possible, à un refus aussi brutal que catégorique. Alors, un peu comme le retraité de l’histoire précédente, le père de Stéphane cherche des solutions pour « motiver » et persuader son fils de participer aux compétitions. Ainsi, le père décide de lui donner 10 euros pour « s’acheter des bonbons » s’il s’inscrit à la compétition locale. Son fils ne sait pas ce qu’est l’argent, en revanche, comme tous les enfants, il adore les bonbons. Rapidement, le papa fait comprendre à son fils qu’il pourra s’acheter tous les bonbons qu’il veut s’il fait le tournoi d’échec. Sans surprise, à peine la phrase du père terminée, l’inscription de l’enfant est actée. Il n’a pas envie de jouer en face à face, mais pour des bonbons, un petit effort s’impose. Pour l’histoire, je précise que le garçon gagne largement la compétition, en disant même à son père: « Papa, je me suis bien amusé à jouer en face à face ». Pour ce tournoi, le vainqueur remporte un petit prize money. Pour Stéphane, c’est synonyme d’un peu plus d’argent…et donc des bonbons en perspectives. A ce moment de l’histoire, vous, lecteurs, sentez-vous poindre les futures caries pour le garçon? Le mois suivant, une nouvelle compétition était organisée. Sur le même principe, le papa donna 10 euros à son fils afin qu’il y participe. Le fils remporta encore l’épreuve, mais sur celle-ci, il n’y a avait pas de récompense pour le vainqueur. Bien qu’ayant gagné la compétition, l’enfant était très déçu. Il n’avait eu « que les 10 euros de son père » et donc, pas autant de bonbons que la fois précédente. Le papa, aussi surpris par le fait qu’il n’y avait pas de récompense pécuniaire pour le vainqueur décida de ne pas donner 10 euros à son fils pour la prochaine compétition. Dans la semaine qui suivi, lorsque le papa dit à son fils: « je t’inscris au prochain tournoi? » la réponse du garçon fut cinglante: « il y a quoi à gagner pour le vainqueur? le père répondit: « ben rien mon fils, mais c’est pas grave, tu aimes les échecs, tu vas t’amuser et si tu gagnes, ce sera bien pour toi? » « non je ne veux pas y aller, d’ailleurs, je ne veux plus jamais jouer aux échecs car il n’y a jamais rien à gagner dans ce jeu ».
La coupe est pleine, n’en jetons plus. Emportant avec elle tout espoir d’une carrière prometteuse, l’histoire de Stéphane et sa passion pour les échecs se termine brutalement. La motivation intrinsèque de Stéphane(personnelle, plaisir du jeu) a disparu, au profit d’une motivation extrinsèque (le gain, la récompense et la carotte, non pardon les bonbons).
Sans vouloir « mal faire », le papa a anéanti complètement la passion de son fils pour les échecs. Stéphane était peut-être promis à une carrière professionnelle? Une chose est sûre, nous n’aurons jamais la réponse à cette question. Stéphane se pose-t-il encore la question? et son père, que se dit-il? En seulement quelques paquets de bonbons, cette passion et ce don pour les échecs ont disparu. Nous voyons dans cet exemple, que l’idée de récompense ( ce que j’appelle aussi la « carotte motivationnelle« ) est à utiliser avec beaucoup de précaution ( et de parcimonie!?), et surtout qu’elle n’a pas que des côtés bénéfiques. Idem pour les punitions non? Ne débordons pas, ceci est un autre sujet… maybe another day.
Ici et là, nous entendons si souvent, dans la bouche des parents, des coachs, des dirigeants, des enseignants, des institutions même…, chacun à son niveau d’intervention, proposer un: « si tu fais ceci, alors je te donnerai cela en récompense« . En pensant bien faire, il en résulte parfois (trop souvent?) une diminution de la motivation intrinsèque au profit d’une extrinsèque et, de fait, une baisse de la performance et donc des résultats obtenus.
Ce premier article introduit l’idée fondamentale, qu’un sportif de haut niveau, et plus largement, toute personne souhaitant réaliser une performance optimale, progresser et gagner en régularité, doit avant tout, posséder un socle motivationnel consistant. La question du sens de sa pratique est prioritaire. Pourquoi on fait de la compétition? Pourquoi on s’engage dans telle épreuve? Quel sens je donne à mon investissement ( mes sacrifices, mes souffrances, mes douleurs, mes déceptions…) quotidien? Une carrière de sportif de haut niveau est faite de haut et de bas et la gestion des deux n’est pas des plus simples. Lorsque je suis en haut, j’acquiers un nouveau statut (avec tous les changements que cela implique), comment je le gère pour rester au sommet? Lorsque je suis en bas, sur quelles bases puis-je me reposer pour repartir de l’avant, éteindre mes doutes et inquiétudes, gérer les pressions environnantes (du staff, des sponsors…) et ne pas sombrer mentalement.
Prendre du recul sur sa pratique, prendre du plaisir dans sa pratique, s’entraîner dur mais avec le sourire et le plaisir d’être là, à cet instant précis, sont, à n’en pas douter, des conditions incontournables pour accéder et maintenir un haut niveau de performance. Dans chaque sport, les meilleurs, ceux qui excellent dans leur discipline, ceux « qui durent », ceux qui « marquent », sont ceux qui arrivent le mieux à gérer leurs succès autant que leurs défaites. Leur motivation est beaucoup plus intrinsèque qu’extrinsèque. Le plaisir de jouer, de gagner, et de gagner encore se construit dès le début, et doit se maintenir tout au long de la carrière. Dans tous les sports, beaucoup de carrières gâchées ou « non-abouties », trop de sportifs s’arrêtant au seul statut « d’éternel espoir » sont à déplorer. A ce moment d’analyse et de constat, une question s’impose d’elle-même dans l’esprit de tous: A qui la faute?
Qui doit créer les conditions nécessaires à l’apparition et au maintien de la motivation intrinsèque du sportif? Qui a les cartes pour distribuer (et contrôler!?) un peu d’extrinsèque de temps en temps? Pas le sportif lui-même, ça c’est sûr!
Pensez-vous que Roger Fédérer, Rafa Nadal, Cristiano Ronaldo, Lionel Messi, Kelly Slater, Tiger Woods (… il en existe tellement d’autres), tous ces sportifs, que dis-je, ces champions d’exception, jouent-ils encore pour l’argent? Pour quelles raisons pleurent-ils lorsqu’ils perdent en finale d’un évènement important? Pourquoi détestent-ils tant la défaite? A l’inverse, qu’est ce qui pousse les champions de sports extrêmes ou bien les champions olympiques de certaines disciplines peu médiatisées (Guillaume Néry, Renaud Lavillenie…), et qui, malgré l’absence de « carottes dorées », continuent à s’engager pleinement dans leur pratique. Pourquoi, chaque jour un peu plus, courent-il après l’optimisation de leur performance? Pourquoi s’entrainent-il si dur? Pourquoi font-ils de tels sacrifices (sportifs et humains) quotidiens afin de battre des records et réaliser des performances impressionnantes. Qu’ont-ils tous de similaire?
Si certains bénéficient d’ une » carotte or/diamant », d’autres n’ont que les miettes, et pourtant, leur motivation semble identique. Dans un prochain article, j’évoquerai le cas de certains sportifs de l’extrême, qui eux, se défient à sauter et écarter des taureaux de combat. Pour quelques dizaines d’euros, avec pour seules armes la feinte, la prouesse technique et une « entrejambe » bien charnue, ils mettent leur vie en « jeu ». Si ce n’est ni pour l’argent, ni pour la reconnaissance ou la gloire, pourquoi font-il cela à votre avis? Qu’est ce qui les motivent et les persuadent d’accepter un tel défi?
Cet aspect semble parfois (souvent?) absent des considérations de certains entraineurs et de nombreuses institutions sportives. L’explication ( la justification!?) des contre-performances de « leur » sportif ont toujours des raisons évidentes (problème physique, tactiques, techniques ou mental), et qu’ils vont « régler ces défaites » en se contentant d’affirmer: « dés demain, on va se remettre rapidement travail, on va s’entraîner encore plus dur et il va vite retrouver son niveau ». Se remettre au travail bien sûr. Mais de quel travail parlent-t-ils?
Vouloir s’entrainer plus, c’est bien, c’est louable, c’est « normal », mais la solution n’est-elle pas parfois ailleurs? avant? différente? S’entraîner plus pour progresser, on peut l’entendre, mais au final, si le sportif ne sait pas vraiment pourquoi il s’entraîne…
Clément DUROU